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« C’est par des spectacles de danse que j’ai eu envie de devenir éclairagiste. » | Entrevue avec Julie Basse

Elle crée des architectures lumineuses et colorées pour de grands artistes toutes disciplines confondues. Rencontre avec la conceptrice d’éclairages Julie Basse, qui nous parle de son processus de création, de son travail autour des corps et nous emmène à la découverte de son métier en clair-obscur.


Julie Basse MQP

En quoi consiste le rôle de conceptrice des éclairages ?  


Julie : Mon travail, c’est d’imaginer et réaliser des ambiances lumineuses qui soutiennent ce qui se passe sur scène. Ça implique d’orienter le regard du spectateur doucement, de déterminer si on veut qu’il se sente proche des danseurs, ou au contraire, si on veut plutôt l'en éloigner.  


Le grand défi pour Minuit quelque part comme pour chaque spectacle c’est de créer un univers qui se tienne du début à la fin. En théâtre, c'est souvent guidé par la proposition de décor, le texte, la dramaturgie. En danse, on a un espace quasiment vide mais des corps en mouvement à éclairer. Dans tous les cas, il s'agit d’établir un dialogue avec les chorégraphes pour construire une ligne directrice forte, des règles qu’on se permettra de suivre et/ou de contourner. C’est important de déterminer ce qu'on veut montrer, quand et comment au spectateur. 


Concrètement, quelle est ta mission lors du processus de création et pendant les présentations ?


Julie : Je suis là dès le début du projet, on s'assoit ensemble avec le metteur en scène ou un chorégraphe, un musicien qui a une idée. Je rencontre aussi la personne qui fait les costumes, les décors et celle qui fait la musique, pour savoir ce qu’on peut amener au projet (avec nos super pouvoirs de collaborateurs) pour que ça fitte dans un seul spectacle.Ensuite, j’effectue les recherches de mon côté : dans le cas de Minuit quelque part je me suis questionnée sur ce que ça dit pour moi, minuit ? Comment je veux parler de cette heure-là ? Quel (nouvel) angle je peux apporter avec les éclairages ? Par le biais d’images, d'inspirations, de moodboards, je suis capable de communiquer avec les autres collaborateurs du projet. Quand le travail de chorégraphie commence, je suis le travail de répétition grâce à des captations vidéo. Ça m’informe sur le rapport à l’espace, l’énergie et la musique. Je peux alors comprendre quoi éclairer, puis je mélange mes hypothèses de départ avec le travail chorégraphique en cours. 


Après ça, je vais faire fitter toutes ces idées-là dans un théâtre, un budget et un horaire. Je fais un plan d’éclairage qui indique: à quel endroit je mets quelle lampe, de quelle couleur. Mon travail oscille vraiment entre l’artistique et la technique.


Après ça, on arrive au théâtre où les équipements se font accrocher, je vais faire le focus de chaque spot, mettre une couleur, puis commencer à créer mes images et les enregistrer sur la console d’éclairage. Tous les états lumineux sont enregistrés en fonction de leur intensité, leur temps d’apparition.  C’est aussi à ce moment que les danseurs ont quitté la salle de répétition et s’approprient la scène. C’est le moment où tout blend : c'est là qu'on crée tous ensemble les images.



Le spectacle va être présenté dans différentes salles, est-ce que ton plan d'éclairage prend ça en compte dès le départ, où les salles sont-elles assez standard pour pouvoir prévoir un plan uniforme pour toutes ?


Julie : Les salles sont différentes donc je fais mon travail de façon réaliste afin de proposer une identité visuelle du spectacle qu’il sera possible de reproduire quel que soit le type d’équipement sur la route. Ensuite, l'éclairagiste de tournée rejoint l’équipe : c’est cette personne qui va être responsable de reproduire dans toutes les salles du Québec ce que j'ai créé visuellement pour le spectacle. Dans certaines salles, il y a parfois moins de spots disponibles que ce que j'avais imaginé lors de la création, ou bien le plafond est plus bas, ou la salle est plus petite, ce qui fait que les spots sont un peu plus proches. L’éclairagiste de tournée va être responsable d’adapter la lumière pour qu'il y ait les mêmes ratios d'éclairage sur les corps et dans l'espace qu’à la création. Grâce aux talents d’adaptation de cette personne et à sa bonne connaissance de l’essence de ma conception, chaque spectateur, quelle que soit sa ville, recevra la même charge visuelle.


Est-ce que parfois c'est toi l'éclairagiste en spectacle ? 


Julie : En tant que conceptrice en théâtre, en danse ou en cirque, j'accompagne le spectacle jusqu'à la première mais je ne m'occupe pas d'opérer les éclairages ; je laisse ça au régisseur. Il m'arrive de faire la tournée avec certains spectacles. Ce sont exclusivement des spectacles de musique qui impliquent que je manipule en direct les éclairages. C’est le fun de faire un peu de tournée, ça permet de se tenir au courant de la réalité des salles


Ça serait quoi les qualités essentielles pour faire ton métier ?


Julie :  

  • Ça prend un grand esprit d'équipe et une bonne dose d’humilité parce que l’éclairage est juste un ingrédient parmi les costumes, les chorégraphies, les danseurs et danseuses, la musique… On a beau avoir la meilleure idée du monde, qui va être magnifique visuellement, il ne faut pas oublier le sens du spectacle qu'on est en train de créer ensemble - ce qui implique parfois de laisser de côtés la flamboyance de certains effets aux profits d’effets appropriés au spectacle qu’on est en train de créer


  • Ça prend une bonne gestion des attentes que tu crées versus ce que tu peux faire réellement : Une gestion du doute réaliste. Parfois, tu peux promettre beaucoup d'affaires et montrer plein de belles images d'inspiration, mais dans les faits, c’est impossible à réaliser. Je fais un travail où le résultat devient concret seulement lorsqu’on se retrouve sur scène, pendant l’entrée en salle. Ce temps-là arrive tard et ne dure pas longtemps. Minuit, ça fait presqu’un an qu’on le prépare, qu’on en parle…Mais en bout de ligne c’est en deux semaines de résidence technique que j’ai pu rendre mes idées concrètes.


  • Il y a aussi une bonne gestion de sa propre impatience à avoir pour respecter chaque étape de chaque département : savoir parfois attendre les propositions des autres concepteurs avant d’émettre ses propres hypothèses dans la plus grande cohérence, et surtout s’organiser pour ne pas se faire avaler par le temps dont on manque toujours - peu importe la durée du projet ! 


Est-ce qu'il y a des artistes ou des œuvres qui ont eu un impact significatif sur toi en tant que conceptrice d'éclairage ?


Julie : Il y a beaucoup de spectacles qui m'ont marquée, particulièrement en danse. C’est par des spectacles de danse que j’ai eu envie de devenir éclairagiste. Vers 15-16 ans, j’ai assisté à  des spectacles d'Odile Duboc, dont Françoise Michel signait les éclairages. En tant que spectatrice, cela a provoqué en moi des sensations directement reliées à ce qui était présenté sur la scène. À cet instant, j'ai compris que l'éclairage avait un impact sur notre propre capacité de spectateur à ressentir adéquatement le spectacle. Par la suite, je me suis mise à être plus attentive à ce que l’éclairage pouvait procurer aux spectateurs et aux parti-pris des concepteurs. En arts visuels, je suis vraiment admirative des œuvres où l'éclairage est la matière première et se suffit à lui-même, comme l’utilisation qu’en font les artistes Olafur Eliasson ou James Turrell. Il y a un travail exceptionnel et précis de la couleur et de notre perception de l’espace où le médium de l'éclairage joue des rôles multiples. Je crois que je suis parfois un peu jalouse que leur terrain de jeu ne soit pas contraint par un stage !


Est ce qu'il y a une esthétique à laquelle le spectateur peut s'attendre pour Minuit quelque part ?


Julie : Malgré le fait qu'il y ait huit chorégraphes, c’est un seul spectacle qui se déploie pendant une heure dix. L’idée est de faire vivre huit sensations différentes provoquées par cette même heure. Ce n’est pas un voyage dans le temps linéaire, c'est plutôt une vision à 360. Il n'y a pas une seule esthétique clé dans le spectacle. C’est plutôt une invitation à un voyage autour de cette heure. On passe de quelque chose qui est moody avec des atmosphères très vaporeuses et romantiques, à quelque chose qui est de plus en plus graphique pour exprimer les huit facettes d’un même instant.


Minuit c'est synonyme de quoi pour toi ? Qu'est ce qui se passe à cette heure dans ta vie ?


Julie : J'ai plutôt un rythme de vie qui fait que je travaille le soir, en spectacles, en répétitions ou même en création. Il est donc rare que je dorme à minuit. D'un point de vue moins quotidien, minuit c’est « l'heure limite » dans les contes qu'on connaît, dans les expressions qu'on utilise. Adolescente, je me souviens avoir demandé la permission de minuit à mes parents, c'est quand même un rite de passage qui est important - l’impression qu’on franchit quelque chose. 


Est ce qu'il y a un lieu qui t'a marqué pour la nuit ?


Julie : Rio ! J'ai vraiment eu une leçon de nightlife ! La fête ne s'y arrête jamais. C'est un endroit où minuit n’est pas du tout un point d'équilibre, il n'y a rien qui bascule, seulement un commencement de tous les possibles !


Pour d’autres raisons, je suis toujours aussi troublée de parcourir Time Square tôt le matin ou tard le soir. C’est presque désert, mais il y a encore toute la vibe frette des gros éclairages via les écrans. C'est un lieu que je trouve particulièrement étrange pour son rapport à la nuit : ce n’est jamais la nuit !


Projets artistiques en cours ? 


Julie : Cet hiver, c’est vraiment retour à la danse. J'ai fait du ballet pendant quinze ans, donc la danse est vraiment un langage que je comprends, mais que j'ai malheureusement trop rarement eu l'occasion d'éclairer. Minuit quelque part est vraiment un petit cadeau. Je vais poursuivre l'expérience en danse avec Révolution en tournée, puis je vais retourner au théâtre et à la musique. Je fais partie de la compagnie de théâtre Création dans la chambre qui présentera Cette colline n'est jamais vraiment silencieuse à la Chapelle au mois d'avril. Aussi je signerai les éclairages du spectacle Le père au TNM en mars prochain. Sinon, je vais être en tournée partout au Québec avec Elisapie.



Suivez la lumière de Julie Basse jusqu'à la représentation la plus près de chez vous !




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